vendredi 14 mars 2014

La tortue et lʼurubu, conte de Cuba... par Emile, Lucie et Gaston


Saint Pierre offrait un banquet. Naturellement, il y aurait de la musique, on chanterait, on danserait. Comme il demeurait en haut du ciel, il nʼy avait guère que les oiseaux qui pouvaient sʼy rendre. Ils sʼenvolèrent tous dès les premières heures du jour et e bruit de leurs ailes finit par réveiller lʼurubu, le vautour cubain. 

Lʼurubu dormait dans son profond sommeil de vautour, sa tête pelée enfoncée sous son aile, digérant les charognes quʼil avait mangées la veille. Il entrouvrit ses paupières tombantes, comprit ce qui se passait, se dit : «moi aussi, je veux être de la fête», se hâta vers le ruisseau, se lava, sʼébroua, se fit aussi beau que possible : il était prêt. 

Il allait prendre son vol lorsquʼil entendit une voix flûtée qui sortait de lʼherbe, à coté de lui.
- Je peux partir avec toi ?
Il baissa les yeux : c
ʼétait une jolie petite bête, dont les courtes pattes et la tête sʼagitaient sous une carapace brillante et lisse - pour tout dire, une tortue. En ce temps-là, les tortues avaient la carapace beaucoup plus belle quʼaujourdʼhui.
- Comment feras-tu pour aller là-haut, toi qui n
ʼas pas dʼailes ?
- Je monterai sur ton dos.
L
ʼoiseau accepta et ils sʼenvolèrent. 

La tortue, mal installée, sʼaccrochait aux plumes, manquant de tomber. Elle se plaignait sans cesse : «tiens-toi droit... Tu vas de travers... Ne vole pas si vite... Dépêche-toi... Cʼest fou ce que tu peux sentir mauvais...»
Ces réflexions ne plurent pas à l
ʼurubu, qui avait la complaisance de la transporter. mais il ne répondit pas. Ils arrivèrent à la fête en retard, le banquet se terminait, de sorte quʼon les plaça au bout de la table.
 

Pour profiter de tous les plats, il leur fallait se dépêcher. La tortue avait un petit appétit. Elle se contenta de fraises et de salade. Lʼurubu, toujours affamé, se jeta sur la nourriture. Il avalait goulûment, éparpillait les morceaux autour de son assiette, faisait du bruit en mangeant. Bref, cʼétait un paysan, qui nʼavait pas de belles manières.
Soudain la tortue, en chipotant dans son assiette, s
ʼécria de sa voix distinguée, assez fort pour être entendue de tous les invités :
- Quel goinfre l
ʼurubu fait ! Vous lʼavez vu ? Il sʼempiffre comme un cochon !
Comme tout le monde le regardait, l
ʼurubu, le bec encore plein, sʼarrêta de manger et le rouge de la honte lui monta à la face. Dʼailleurs, depuis ce jour-là, sa tête décharnée est demeurée rouge.

Lʼoiseau resta silencieux, mais, à part lui, il se jura de se venger de la tortue.
Quand la fête se termina, il voulu repartir seul.
-  Tu ne ramènes pas la tortue ? lui demanda Saint Pierre en ouvrant les portes du ciel. 
-  Où est-elle ? Eh bien quʼelle vienne ! fit lʼurubu avec brusquerie, en jetant sur la petite 
en jetant sur la petite bête un regard mauvais.
 
Saint Pierre sʼen aperçut, mais déjà lʼoiseau et sa compagne descendaient à toute vitesse. Comme ils sʼapprochaient de la terre, lʼurubu ralentit. Il cherchait des yeux un rocher. Dès quʼil en trouva un, il fonça, se retourna brutalement, si bien que la tortue tomba. Elle tomba 
à lʼenvers sur le roc, où sa carapace se fracassa et vola en éclats.
 
Saint Pierre a le regard perçant. Il envoya son serviteur au secours de la pauvre bête. Celui-ci la remit sur pattes et, tant bien que mal, la recolla.
Voilà pourquoi aujourdʼhui la tortue a une carapace rapiécée et brunâtre, faite de plusieurs morceaux. 
 
  • 18 contes de Cuba, Françoise Rachmuhl, Castor Poche 
     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire